Claire Marin
Ça ne sert à rien mais c'est important
Chroniques
A vos souhaits.
Il existe une théorie selon laquelle l'éternuement serait une petite forme de jouissance nasale.
Le débat reste ouvert sur la véracité de ce propos, mais quoique l'on en dise, c'est si bon d'éternuer.
Il y en a qui le font une fois et puis c’est terminé,
d’autres qui le font en cascade sans jamais s’arrêter,
d’autres encore qui le font par en dessous pour pas trop se montrer,
et d’autres enfin par au-dessus sans pouvoir se cacher.
Alors on nous apprend à le faire correctement
Avec un mouchoir, avec la main devant
Sauf que des fois ça ne prévient pas
On s'éclabousse un peu, on en met ça et là
C'est rien du tout, ça se nettoie
Restera le rire, restera l'éclat
D'être une part de jouissance
Dans ce monde insensé
D'être un mini Big Bang
Un amour échevelé
Une part de bonheur
Dans ce monde qui s'agace
Une bribe de temps
Un simple fou qui passe
Avoir l'air imbécile
Emmitoufler l'espace
Qui au-delà de nous, peut-être se souviendra
De nos lèvres volcans, de nos corps en émoi
Qu'il en créera des rêves, des étoiles, des soleils
Des tableaux lumineux qui feront notre ciel
Et que le monde en sera un peu plus émerveillé
De cette vie qui souffle tout au cœur de nos nez.
Photo : Gérard Foutrier
Renaissance de Vénus
J'ai toujours été fascinée par La Vénus de Botticelli.
Je lui trouvais des yeux de pluie.
Et je me demandais pourquoi.
Pourquoi tous les visages de Botticelli avaient des yeux de pluie.
Bon au final j'ai appris que Botticelli avait des tendances dépressives.
Et pourtant il avait carrément la côte à son époque.
Contrairement à Leonard de Vinci qui peinait à gagner 2 centimes,
ce qui ne l'empêchait pas d'être un joyeux drille.
D'où la phrase idiote : l'argent ne fait pas le bonheur.
Comme dirait Guitry, on doit parler de l'argent des autres.
Bien sûr que si l'argent peut faire le bonheur.
Mais ce que l'argent ne fait pas, c'est la Joie.
La Vénus de Botticelli, elle pouvait bien gagner des millions,
elle avait toujours ses yeux de pluie.
Elle vient de naître et comme tous les nouveau-nés, elle pleure déjà.
Elle pleure de quoi ?
De tout, de rien, du chemin qu'elle vient de faire,
de celui qui vient, de ce qui a bien pu la mettre dans cette galère,
Dans ce corps, Dans cette coquille Saint-Jacques.
C'est très bon les coquilles Saint-Jacques.
Si on sort les bestioles de la coquille à temps.
Sinon les bestioles, elles deviennent toute ratatinées.
Comme quand on reste trop longtemps dans l'eau.
C'est peut-être pour ça qu'elle est triste la Vénus de Botticelli.
D'être sortie des eaux pour rester coincée dans un coquillage.
Peut-être qu'elle a cru tous ces siècles que c'était le coquillage
qui allait la balader sur terre façon soucoupe volante.
Et qu'elle est toute déçue parce que, en vrai,
la coquille, elle ne bouge pas,
et que les soucoupes volantes, en vrai, ça n'existe pas.
Et qu'en fait, la seule chose vraie qui existe, c'est son corps. Et que c'est ce corps qui va la balader sur cette terre. Et qu'en plus, elle a même les clés. Et qu'avec, elle peut s'envoler. Où elle veut et quand ça lui chante. Et que c'est ça la Joie. De laisser ses yeux ronds et mouillés comme des coquilles, De chanter, de partir, De suivre son destin. Il y avait un jeu avant qui s'appelait "Destin". On recevait un petit pion en forme de voiture et on tournait une roue pour voir ce qui allait se passer. Et on roulait. On roulait. On vivait. Les yeux au vent.
Photo : Linda Aldeano
La robe blanche
C’était un été à Nice.
J’avais rendez-vous avec mon amoureux devant le Palais de Justice.
Drôle de nom pour une rencontre.
Comme quand j’avais reçu mon premier baiser rue des Filles du Calvaire.
Drôle de nom pour commencer une vie amoureuse.
Mais tout est un commencement.
Et pour mon amoureux à Nice, je voulais être en blanc.
En blanc devant le Palais de Justice.
Je ne savais pas encore que la justice était blanche.
J’avais trouvé une jolie robe de cette non-couleur.
J’avais trouvé la pureté absolue.
Et je croyais que c’était ça l’amour : la pureté.
Je ne savais pas encore que je me trompais.
En arrivant devant le Palais de Justice,
j’ai commencé à sentir un trouble dans mon ventre. Je le sentais.
Que la blancheur de mon cœur allait être altérée. De manière indélébile.
Tout de même, l’intuition...
Mon amoureux est arrivé.
Et tout de suite, dans ses yeux, j’ai vu que je n’étais plus la sienne.
Il ne faisait que se gorger de mon amour à moi. Car lui n’en avait pas.
Il me le dit à ce moment-là.
Dès lors, ma si jolie robe blanche,
que j’avais mis tant de soin à trouver, fut tachée. Tachée de désamour.
Le blanc avait été souillé. Et moi, pauvre candide, je faisais l’étonnée. Car ce n’est pas faute de savoir que le blanc attire les tâches.
Qu’il est comme un aimant pour les sombres menaces. Mais je ne voulais pas voir. J’étais amoureuse aveuglée. Je ne voulais pas de la vérité. Mais la vérité me voulait moi. Le Palais de Justice attendait mon trépas. Celui de mes illusions. Le blanc, c’est la clarté. Cette page vierge où vient la vérité. Elle a joui ce jour-là. Cette vérité du monde qui jailli sur le blanc. Comme une encre noire sur un papier tremblant.
Aujourd’hui, quand je calligraphie, je sais que l’on écrit feu noir sur feu blanc. C’est la tradition des scribes.
C’est la tradition du monde : cette blanche lumière qui sourit de nos ombres.
Photo : Linda Aldeano
La robe bleue
Le premier mariage auquel j’ai assisté, je portais une jolie robe bleue.
C’était ma couleur préférée. Ce grand bleu ciel d’été.
Je pouvais y danser. Danser, c’était la liberté.
Et je voyais les gens se rencontrer, s’aimer, se marier.
Moi, je ne pensais qu’à danser. Avec ma robe bleue liberté.
Je ne savais pas qu’à deux, on pouvait aussi danser.
Et puis un garçon voulut danser avec moi.
Je le trouvais mignon, alors pourquoi pas.
Sauf qu’il portait un bermuda.
Et que ma robe bleue, elle lui grattait les jambes.
Alors il me laissa.
J’ai donc cru que la liberté et l’amour, ça faisait trois.
Si on compte le bermuda.
J’ai donc continué à danser.
Aussi vite un ciel fou, comme une nuit étoilée.
Ces étoiles qui naissent, comme ça, à force de tourner.
Je ne savais pas tout ce que le bleu pouvait créer.
Alors je ne suis pas certaine de vouloir me marier.
Mais j’ai trouvé un pantalon bleu.
Qui tient mieux debout qu’une robe.
Et qui ne gratte pas les jambes des hommes.
Peut-être bien que ça va marcher.
Et au mieux, il restera les ciels d’été.
Août.
Mon mois préféré.
J’ai toujours pensé que la vie finissait par l’été.
Que l’été, c’était le sommet de l’art.
Si tant est que le corps et l’esprit veuillent bien nous porter.
Je parle aux deux. Tout le temps.
Comme à ma voiture.
Je leur ouvre le capot régulièrement.
Comme des fruits d'été.
Comme les abricots.
Les abricots, faut leur ouvrir le capot.
Parce que dans leur noyau, il y a un truc fou : une amande.
Ma mère, elle faisait des confiture d'abricot
Et elle allait leur chercher l'amande dans le noyau.
Trop forte ma mère.
Ma mère, elle m'a appris ce que c'était d'aller chercher au fond des choses.
Ma mère, elle m'a appris ce que c'était d'être une femme.
Que c'était d'aller fouiner dans nos propres noyaux.
Que tout était dedans.
Et que le dedans, avec le travail, avec le temps, il finissait par se voir dehors.
Comme un fruit arrivé à maturité.
Comme un beau fruit d'été.
Avec quelques rides, quelques bosses, un sourire d'été.
Après s'être cassé le noyau de l'automne au printemps.
L'été c'est le sommet de l'art.
L'été c'est le cœur du temps.
Photo : Linda Aldeano
Photo : Myriam Bourgoin
Monsieur 24
Gamine, pendant les repas de famille, je me cachais sous les tables. Je détestais rester des heures à une table.
Alors j'allais en dessous. Là où nul ne me voyait.
Je dessinais et j'écrivais en regardant les pieds des gens.
Le monde vu d'en bas me semblait bien plus intéressant.
Je devais être une sorte de Yann Arthus-Bertrand inversé.
En grandissant, j'ai un peu continué.
A Noël, ce que j'aimais, c'était travailler.
Je travaillais dans une salle de cinéma.
J'aimais voir les gens aller et venir.
Il y avait des touristes, des couples, des gens seuls parfois.
Et surtout, un homme, un vieux monsieur.
Qui venait là tous les 24 au soir.
Je ne le voyais aucun autre jour, aucun autre soir.
Il venait ce soir-là uniquement.
Il mettait un beau costume et des chaussures bien cirées.
Il avait l'allure fine et tendre. Il était si simple, si élégant.
J'aimais cet homme, profondément. Il était mon Noël à moi.
Sa discrétion, sa dignité, sa façon si intime de marcher.
Il était seul, il était debout. Il se tenait là, sans personne à son bras.
Il était vivant. Tellement vivant. A tenir le cap de l'émerveillement.
A se faire tout beau, pour cet humble moment.
A chaque Noël, je l'attendais.
J'attendais de déchirer son petit ticket.
De lui sourire. Et qu'il me sourit.
Et dans cet instant,
Saisir l'amour, la grâce, le monde entier.
Saisir toute la vie.
L’Être et le Canapé
Un jour, je me suis retrouvée dans une maison sans canapé.
Et bien franchement, je ne savais pas où me poser.
Certes, il y avait bien des chaises, des fauteuils,
Mais c’est pas pareil, c’est pas un canapé.
Un canapé, on peut s’y affaler. Tout seul, à deux, à trois,
Selon l’humeur, la taille, l’endroit.
On peut y changer de place, de regard, de position.
Faire le kamasoutra en cinquante leçons.
Y mettre des amants, des chatons, des maîtresses,
Y végéter des heures, songer au temps qui reste.
Y convoquer ses anges, sourire à tous ses diables,
Cesser les vaines courses où nos frayeurs bavardent.
Pouvoir se réfléchir, se dire la vérité,
Déniaiser l’avenir, se rêver éveillé,
Tutoyer sa conscience, devenir fou à lier.
Aller moins chez le psy, plonger aussi chez soi.
Ca coûte un peu moins cher, surtout chez Ikéa.
Les gens sans canapé, ils ne savent pas ce qu’ils manquent.
Un espace où s’aimer, où l’esprit peut se pendre.
Comme un linge aux fenêtres, De nos âmes étourdies, Un aéroport, une gare, un hôtel dans nos pluies,
Un passage secret du salon à la chambre, Pour entendre les veines où nos cœurs se répandent.
L'Être et le Chat
La première fois que nous avons exposé ensemble en France avec mon amie artiste japonaise Izoomi, elle fut très étonnée des gens qui donnaient publiquement leur opinion sur notre travail.
M'expliquant qu'au Japon, les opinions personnelles étaient réservées à la sphère privée
et qu'il était très mal élevé de les exprimer en public.
Je n'ai pu que sourire bêtement en lui disant qu'effectivement, en France, dire ce qu'on pensait était quasiment un sport national
et que je ramais moi-même chaque jour pour tenter de déprogrammer ce jeu de mon disque dur, et que psychologiquement,
c'était un peu comme passer de Candy Crush aux abdos.
Et qu'au début, forcément, les abdos, ça fait bobo. Bobo au cerveau.
Au cerveau pas habitué. Pas habitué le cerveau, à devoir transpirer pour devenir un peu mieux élevé. Pour élever un peu son humanité.
L'humanité qui se fiche de son opinion comme de sa première couche-culotte.
Et que pour comprendre ça, il va falloir faire des abdos tous les jours. Jusqu'à ce que mort s'en suive.
Sachant que la durée de vie a largement augmenté.
Ca va faire un sacré paquet d'abdos à se fader.
Bien plus que les paquets de bonbons à Candy Crush qu'on peut même pas manger.
Sincèrement, si on peut même pas manger les bonbons à quoi bon.
Et pourtant je ne suis vraiment pas fan des abdos.
Je ne suis pas non plus fan des JO.
Mais je suis fan des gens qui transpirent.
De corps, ou d'esprit, ou des deux, qu'importe.
Je suis fan des gens qui font les bonbons.
Quand j'étais gamine, mon papa et mon tonton,
ils préparaient des feux d'artifice.
Je n'ai jamais osé leur dire que je m'en fichais des feux d'artifice,
que ça me faisait même un peu mal aux oreilles.
Mais ce que j'aimais, c'était de les voir tout préparer.
Ce que j'aimais, c'était de les voir transpirer.
Ce que j'aimais, c'était de les voir aimer.
Aimer ce qu'ils faisaient.
C'était ça mes bonbons préférés.
Voir des petits humains afférés.
Voir des petits humains s'élever.
Les regarder comme on caresse son chat.
Avec tendresse, et hors de soi.
Hors de mon petit nombril qui voudrait bien avoir raison.
Et qui ferait mieux de se taire pour manger des bonbons.
Fais donc comme ton chat : mange tes croquettes et tais-toi.
L'âme humaine peut-elle valoir mieux qu'un chat ?
Je pense alors au nain Gimli dans "Le Seigneur des Anneaux" qui lorsqu'il faut aller sauver l'humanité face à l'œil dévastateur de Sauron, répond : "Une mort certaine ? Une faible chance de succès ?... Mais qu'attendons-nous ?"
Mais oui... qu'attendons-nous ?... Pour caresser nos chats...
Et réserver nos opinions aux soirées barbecue (ou raclette selon la météo) entre amis dont la présence, elle, toujours, élève l'esprit.